Culture émotionnelle : le levier oublié de la prévention des risques psychosociaux

Stress chronique, perte de sens, tensions relationnelles… Les risques psychosociaux pèsent lourd sur la santé des équipes et la performance des organisations. Pourtant, la plupart des démarches de prévention oublient un facteur clé : les émotions.

Car derrière chaque indicateur – absentéisme, démotivation, roulement – se cachent des émotions non reconnues, accumulées ou ignorées. C’est là que la culture émotionnelle entre en jeu : elle influence profondément la manière dont les personnes vivent leur travail, collaborent et s’adaptent à la pression.

Et si, pour prévenir les risques psychosociaux, il fallait commencer par écouter ce qui se vit à l’intérieur… avant que ça ne déborde?

Comprendre la culture émotionnelle : un concept clé pour prévenir les risques psychosociaux

On parle souvent de culture d’entreprise, mais rarement de culture émotionnelle. Pourtant, cette dimension invisible influence profondément la manière dont les personnes vivent leur travail, gèrent la pression et interagissent entre elles.

Les chercheuses Sigal Barsade et Olivia O’Neill ont été parmi les premières à définir ce concept : la culture émotionnelle, c’est l’ensemble des émotions valorisées, exprimées ou, au contraire, réprimées dans un milieu de travail (1). Certaines organisations encouragent la convivialité et l’entraide; d’autres valorisent la retenue et la performance à tout prix. Dans les deux cas, un message implicite circule : « ici, certaines émotions ont le droit d’exister, d’autres non ».

Or, cette culture émotionnelle n’est pas neutre. Elle influence directement la prévalence des risques psychosociaux : stress, isolement, épuisement, conflits ou perte de sens. Selon l’INSPQ (2022), ces risques sont désormais considérés comme des facteurs de santé mesurables et modifiables, au même titre que les risques physiques (2). Une culture de travail émotionnellement saine devient donc un levier de prévention à part entière.

Pensons par exemple à une équipe qui prend cinq minutes au début d’une réunion pour partager comment chacun·e se sent crée un espace de connexion. Ce simple rituel, souvent appelé check-in émotionnel, améliore la cohésion et réduit le stress perçu. Des études en psychologie du travail confirment que ces moments d’expression émotionnelle libre sont associés à une meilleure satisfaction professionnelle et à une baisse de l’absentéisme.

Bref, reconnaître la culture émotionnelle de son organisation et choisir de la nourrir consciemment, c’est déjà un acte de prévention des risques psychosociaux.

Le rôle de l’intelligence émotionnelle : un levier collectif de prévention des risques psychosociaux

Dans un monde du travail traversé par l’incertitude, la surcharge et la fragmentation des équipes, la clé ne réside pas seulement dans le bien-être individuel, mais dans la capacité d’une organisation à nommer, ressentir et réguler ses émotions collectivement. C’est là que l’intelligence émotionnelle devient un outil central de prévention.

Traditionnellement, l’intelligence émotionnelle se définit par quatre piliers : la conscience de soi, l’autorégulation, l’empathie et les compétences sociales. Mais dans la perspective des RPS, elle prend une portée plus large. Elle devient la capacité d’un collectif à :

→ Reconnaître ses émotions de fond (fatigue, anxiété, frustration)
→ Créer des espaces pour les exprimer
→ Adapter son climat de travail en conséquence

Plusieurs études récentes confirment cet impact : une méta-analyse publiée dans Frontiers in Psychology (2022) montre une corrélation négative significative entre intelligence émotionnelle et stress perçu au travail (3). Autrement dit, plus l’intelligence émotionnelle est élevée, moins les personnes ressentent de stress.

De même, une étude de 2024 publiée dans Administrative Sciences révèle que les employé·es dotés d’une forte intelligence émotionnelle perçoivent un climat de travail plus positif et affichent une plus grande satisfaction professionnelle, notamment grâce à une réduction du stress (4).

Sur le plan collectif, l’intelligence émotionnelle agit comme un système de protection mutuelle. Une équipe capable de reconnaître une tension avant qu’elle n’explose, ou de se soutenir lors de périodes intenses, développe ce que les psychologues appellent la co-régulation émotionnelle. Ce processus renforce la sécurité psychologique, réduit les comportements défensifs et diminue les risques de burnout ou de conflits ouverts.

En somme, cultiver l’intelligence émotionnelle au sein d’une organisation, ce n’est pas un luxe ni un « plus » relationnel : c’est une stratégie de prévention des risques psychosociaux fondée sur la science, et un pilier de la santé mentale au travail.

Quand la science rencontre la culture : des pratiques concrètes pour agir sur les risques psychosociaux

Savoir que les émotions comptent, c’est une chose. Les intégrer dans les pratiques quotidiennes de gestion, c’en est une autre. C’est là que la science et la culture organisationnelle se rejoignent : une culture émotionnelle saine n’émerge pas par hasard, elle se construit à travers des gestes répétés, des pratiques concrètes et des décisions cohérentes.

Des organisations qui parviennent à prévenir efficacement les risques psychosociaux sont souvent celles qui ont compris que la régulation émotionnelle ne relève pas de la psychologie individuelle, mais du fonctionnement collectif. Les émotions se propagent, s’amplifient, se répercutent. En parler, c’est déjà agir dessus.

Des pratiques simples, soutenues par la recherche, peuvent transformer le climat d’une équipe :

✓ Les rituels émotionnels : les check-ins et check-outs en début et fin de réunion, ou les « tours d’humeur » hebdomadaires, favorisent la co-régulation et réduisent la charge mentale.
✓ La reconnaissance émotionnelle : nommer et valider ce que les autres vivent renforce la sécurité psychologique.
✓ Le feedback empathique : les conversations franches mais bienveillantes sur les difficultés émotionnelles d’une équipe préviennent les tensions chroniques.

Ces micro-pratiques ne sont pas de simples gestes de bienveillance; ce sont des outils de gestion des risques. En les multipliant, on agit sur la racine même des risques psychosociaux : la surcharge émotionnelle non exprimée.

Pour que ces pratiques s’enracinent, elles doivent être reconnues, encouragées et mesurées. Quelques pistes :

→ Intégrer des indicateurs de climat émotionnel dans les sondages internes.
→ Offrir des formations sur la communication émotionnelle et la gestion du stress collectif.
→ Mettre en place des rituels de reconnaissance et de gratitude institutionnalisés.
→ Valoriser les gestionnaires qui favorisent la sécurité psychologique autant que ceux qui atteignent leurs objectifs.

Comprendre pour mieux agir

Prévenir les risques psychosociaux, c’est d’abord comprendre ce qui se joue réellement dans son organisation. Plutôt que de multiplier les initiatives bien-être, il s’agit d’écouter, d’observer et d’agir sur les sources mêmes de la pression.

C’est là que l’intelligence émotionnelle prend tout son sens : elle permet d’intervenir avec discernement et humanité, pour bâtir une culture durable où la performance ne se fait pas au détriment de la santé psychologique.

Chez Boostalab, nous aidons les organisations à identifier et prévenir leurs risques psychosociaux, dans une démarche à la fois humaine et conforme à leurs obligations légales en matière de santé et sécurité psychologique. Parce qu’une culture émotionnellement intelligente n’est pas un luxe : c’est une responsabilité essentielle et un levier durable de performance collective.

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Références

1. Barsade, S. (2016). Balancing emotional and cognitive culture. Wharton Magazine.
2. Chénard, C., Mantha-Bélisle, M.-M., & Vézina, M. (2022). Risques psychosociaux du travail : des risques à la santé mesurables et modifiables. Institut national de santé publique du Québec.
3. Doğru, Ç., et al. (2022). A meta-analysis of the relationships between emotional intelligence and employee outcomes. Frontiers in Psychology.
4. García del Castillo-López, Á., & Pérez Domínguez, M. (2024). Employees’ emotional intelligence and job satisfaction: The mediating role of work climate and job stress. Administrative Sciences.